Isabelle, responsable de la prévention à la santé des îles Loyauté, m'a demandé d'écrire conjointement un article sur "l'activité brûlante du moment" : l'épidémie de dengue et l'impact des traitements insecticides.
Vous le savez, la dengue sévit fortement cette année, et pour limiter sa dissémination, des épandages d'insecticide ont lieu autour des habitations des malades, afin de tuer les moustiques Aedes aegypti, le vecteur du virus. Ces traitements affectent aussi les autres insectes, y compris les abeilles : aux îles Loyauté un réseau permet aux apiculteurs de déplacer leurs ruches avant que l'épandage n'ait lieu.
Lorsqu'une colonie est à proximité d'un tel nuage toxique, une partie importante des butineuses va succomber ou avoir le cerveau suffisamment perturbé pour ne plus retrouver la ruche. La colonie en meurt rarement, cependant le déséquilibre de population va la fragiliser : elle va être fortement touchée, quelques semaines plus tard, par des problèmes sanitaires. Plus insidieux, le travail de collecte des nectars, pollens, propolis et eau dans un rayon de 2 kilomètres va aboutir à une contamination et concentration des larves d'abeilles, de la reine, des réserves et de la cire, en insecticides mais aussi en gazole (utilisé pour la dispersion de la molécule toxique).
Inutile de diaboliser, utile de regarder toutes les conséquences de nos choix afin d'améliorer nos stratégies ! Laissons les abeilles nous inspirer par leur exemple... et les dizaines de millions d'années d'expérience supplémentaire ! Comme nous, l'individu est faible et fragile quand il est seul dans la nature. Comme nous, l'organisation en société a changé la donne : lorsque l'individu est au service du groupe, celui-ci est au service de chacun. C'est un modèle formidable de développement totalement intégré à l'environnement, apportant même une plus-value très forte par la pollinisation des plantes à fleurs. Toutes les productions des abeilles sont des aliments de très haute qualité et des merveilles pour notre santé, aucune ne nuit à l'équilibre naturel.
L'essaimage, spectaculaire évidence de l'organisation d'une vie en société
Par comparaison, nous sommes moins bons... Pour cette lutte contre les moustiques, la deltaméthrine utilisée est heureusement vite détruite à la chaleur, mais les résistances obligent parfois à utiliser le malathion, bien plus persistant et dangereux pour nous... Autres conséquences : les insectes prédateurs des moustiques sont aussi tués, toute une chaîne alimentaire disparaît dans la zone traitée, et les résidus de ces molécules finissent dans nos poumons ou nos estomacs un jour ou l'autre... Quand on sait que notre métabolisme est perturbé par d'infimes traces de molécules toxiques (exemple des perturbateurs endocriniens), à l'origine de nombreuses maladies chroniques, cela donne envie de chercher d'autres solutions...
Elles existent, mais demandent un peu plus d'efforts de chacun ! Aedes aegypti ne peut pondre sans eau stagnante : supprimer les « gîtes larvaires » affecte plus fortement la population de moustiques qu'un gazage ponctuel des adultes... Comme ce moustique ne peut vivre qu'à proximité de l'homme et profite de sa négligence autour et dans les habitations, prendre soin de notre environnement immédiat a un impact bien plus important que ce que l'on peut imaginer !! Vider nos gîtes larvaires deux fois par semaine permet donc de concilier un frein efficace à l'épidémie de dengue, la possibilité d'un développement agricole sain, un impact positif sur la biodiversité et le respect de notre santé par la diminution du besoin d'épandage d'insecticide.
Tous les insectes pollinisateurs sont touchés : pas seulement les abeilles domestiques !